Petites fiches de lecture pour partager nos coups de coeur et découvertes littéraires.
jeudi 28 février 2008
Papiers Nickelés n°15
Ainsi nous visitons le monde et le grand! Du Québec avec Albéric Bourgeois (le premier bédéiste du cru) à l'Argentine avec Ruben Sosa (récemment décédé). Nous traversons l'histoire: avec les ennuis judiciaires de Daumier au XIXème siècle et un article émouvant sur Poulbot paru en 1943 dans le " Dimanche illustré".
Nous dévorons ensuite le sujet consacré aux imprimeurs d'étiquettes.
Pour les amateurs de fromages et de belles images à qui Daniel Bordet (l'auteur du texte) aura mis l'eau à la bouche, un détour sur le site Le tyrosémiophile.com s'impose. À la fois passionnant et très complet.
Profitons également d'un entrefilet sur les suites de la désastreuse
" affaire " de l'Imprimerie Nationale pour nous rendre sur graphê (association pour la promotion de l'art typographique). Le parcours photographique proposé est un bel hommage rendu aux ouvriers du Livre.
Pour clore ce compte-rendu un peu sommaire, j'ajouterai que cette petite revue (24 pages) très dense est joyeusement illustrée; le ton y est aussi vif que le fonds est précis.
Pour les libraires qui voudraient se procurer les numéros, la diffusion se fait par Makassar. Pour les abonnements et les particuliers, je vous renvoie à notre article précédent.
-Monsieur-
aux éditions C.I.P.
2007
mercredi 27 février 2008
Ma circoncision
Son album conserve cependant la fraîcheur de l'enfance car si le regard est direct, sans détour, un humour empreint de fausse naïveté atténue la violence du vécu.
Cette franchise dans la description du quotidien fut pourtant mal interprétée par certains groupuscules, d'où des procès lamentables lors de la première édition au prétexte de racisme et de protection de la jeunesse.
Ces réactions extrêmes et disproportionnées soulignent la difficulté d'aborder certains thèmes et nous interpellent sur les tabous autour de la circoncision (emprise du groupe; tradition; religion; sexualité; acceptation de la différence; respect de l'intégrité des mineurs...). On est en droit de s'interroger sur cette mutilation physique qui n'a rien de médicale et de se demander si cette pratique ne devrait pas être limitée à des adultes responsables et consentants.
-Monsieur-
de Riad Sattouf
aux éditions Bréal Jeunesse
paru en 2004-épuisé
réédition à l'Association
2008
Je conseille par ailleurs la lecture du livre: " Circoncision. Le complot du silence " de Sami Aldeed Abu-Sahlieh paru aux éditions de l'Harmattan. L'auteur y explique clairement son hostilité à la circoncision.
Le site Droit au Corps apporte des informations sur le prépuce et son utilité. Actualisé en permanence, on y apprend que le Conseil de l'Europe a adopté, mardi premier octobre 2013, une résolution contre les violations de l'intégrité physique de l'enfant (tatouage, excision, circoncision...). Malgré une grande modération au sujet de la circoncision, cette décision a provoqué une levée de boucliers chez de nombreux religieux.
Alors, si vous préférez vous délasser, vous pouvez visiter un site où les nus sont représentés sans aucune discrimination et dans le respect du corps de chacun : Pour un dessin et quelques courbes.
mardi 26 février 2008
Carnaval
" Carnaval couleurs et mouvements " est une invitation au voyage. Des formes endiablées nous élèvent avec elles, des gerbes de couleurs font rayonner les pages, nos pupilles se dilatent. Mattotti est grandiose. Son art est flamboyant. Ses dessins continuent de danser sous les paupières fermées.
Mais cette cavalcade est soigneusement régie, ponctuée de courts chapitres eux-mêmes rythmés en trois parties: un texte, des croquis, des " tableaux ". La cadence est rapide. Un texte, des croquis... nous voilà entraînés.
Les auteurs sont nombreux. Ils vivent le carnaval, en exposent les grandes lignes, transposent leur enthousiasme. Ils transmettent leur passion brièvement; des notions, quelques phrases. Suivent alors les croquis de Lorenzo Mattotti. Chaleureux noir et blanc très vite emporté par des scènes colorées et somptueuses.
L'ensemble est emballant mais une chose me chagrine.
Car dans ce foisonnement, une petite note de déplaisir est venue me distraire: l'austérité d'un bandeau gris qui traverse certaines pages s'est dressée devant moi. Austérité qui ne sied guère à l'exubérance d'un carnaval. Cette fantaisie obscure casse le trait, la souplesse du dessin. Elle rompt les équilibres, l'harmonie des croquis en soulignant maladroitement certaines parties de ceux-ci. Quel dommage! Aussi dommage que la transparence du papier qui laisse percevoir sous un verso blanc le recto de la page.
" Allons, Monsieur, ne soyez pas rigide. " me glisse une petite voix. Alors soit, profitons de la fête!
-Monsieur-
de Lorenzo Mattotti
aux éditions Casterman
2007
lundi 25 février 2008
Pot pourri
La poésie de Costes est scandée, hurlée, vomie dans des orgies terribles. C'est une libération, un rite du fond des âges, le chant d'une religion ancienne.
Costes est venu au Monde. Il a ouvert les yeux. Costes est organique. L'Homme est organique. Demandez aux sages-femmes: l'accouchement est " humeurs ". Costes se débat, nu, dans le sang, le sperme et les excréments. Il a peur. La société l'agresse, le révulse par ses tabous, ses silences, son hypocrisie et ses lois. Costes est nu: il crie, il hurle, il griffe. Il est " Homme-animal "; nié, méprisé, violenté. Il ne demande qu'à vivre... et c'est un chant d'amour et de désespoir qu'il abandonne aux courants du bitume.
Costes ne joue pas, il ne ment pas. Sa volonté obsessionnelle est mal comprise, son jusqu'au boutisme effraye. Ne le jugez pas: il blasphème, il étouffe! Il est empêtré dans le carcan de la morale. Il ne peut en sortir, nos valeurs ne lui correspondent pas. Il est Autre, étranger, à l'étroit dans ce Monde.
Ne vous détournez pas, débarrassez-vous de vos oripeaux et laissez-vous malmener (bercer) par son chant. Lisez ses paroles à voix haute, laissez-vous pénétrer. Plongez dans les dessins de Anne Van Der Linden magnifiques et obscènes. Nulle autre qu'elle ne pouvait témoigner de la beauté crue de cet univers tourmenté et violent.
Par le choix des textes et leur ordonnancement, par le CD inclus, les éditions du Dernier Cri nous proposent une approche sensible de l'œuvre dramatique de Jean-Louis Costes.
-Monsieur-
Textes et CD de Jean-Louis Costes (un entretien vidéo sur Daily motion témoigne de la fragilité du personnage. Touchant)
Dessins de Anne Van Der Linden (le dessin accompagne le texte, le contraire est aussi vrai)
aux éditions du Dernier Cri
imprimé en offset et sérigraphie en novembre 2007 à 500 exemplaires.
Disponible en librairie ou sur le site eretic-art.
vendredi 22 février 2008
mardi 19 février 2008
Ubuweb
le site Ubuweb étant un peu touffu (effrayant par son offre), nous allons vous indiquer quelques petits trésors que nous y avons découverts.
-Le terme " buffering " peut parfois apparaître, cela veut dire que l'élément que vous voulez regarder ou entendre se met en mémoire tampon, se charge; il n'y a pas pas d'inquiétude à avoir.
Pour ceux qui ont découvert le " Voyage au bout de la nuit " de Céline grâce au spectacle de Fabrice Luchini, l'interprétation de Michel Simon est d'une grande sobriété. Plus posée, différente, son approche est tout aussi grandiose et indémodable.
Le reportage de Jean-Marie Drot sur Giacometti se déguste avec plaisir: c'est la télé de papa dans toute sa saveur à une époque où l'on prenait le temps.
Il ne faut pas rater non plus le surprenant " Entr'acte " de René Clair tourné en 1924 avec la participation de Man Ray, Erik Satie, Marcel Duchamp... pour en savoir un peu plus sur ce film qui fît scandale à sa sortie, il y a un court article sur wikipedia.
Un autre film incontournable Le chien andalou de Luis Bunuel et Salvador Dali. Premier grand film surréaliste (1929).
Le chant d'Amour de Jean Genet est visible sur Ubuweb. Sublime et unique. Toute la sensualité de son œuvre, de ses passions amoureuses et érotiques sont réunies dans ce film.
Dans un autre registre l'étonnant Island Song de Charlemagne Palestine que j'affectionne particulièrement.
Mais on pourra préférer entendre Apollinaire réciter des poèmes (Sous le pont Mirabeau), Alain Robe-Grillet lire un passage de Jalousie ou encore écouter une interview de Louis Aragon.
Bref, Ubuweb est un délicieux fourre-tout où il fait bon flâner.
-Monsieur-
vendredi 15 février 2008
mercredi 13 février 2008
La Voleuse du Père-Fauteuil (édition intégrale)
La vie impose des choix: tandis que "l'homme mystère" ne vole que les modernistes, notre "Voleuse du Père-Fauteuil" détrousse les passéistes.
Car tout est politique: chaque tête de chapitre s'ouvre sur la une d'un quotidien facilement reconnaissable soit passéiste soit moderniste. Mais au delà des clivages, l'innocente voleuse découvre une réalité beaucoup moins rigide qu'il n'y paraît: l'hypocrisie et la lâcheté règnent en maitre au royaume des apparences.
La différence est au cœur de cette histoire (une journaliste homosexuelle, un cambrioleur d'un genre un peu particulier accroc à des substances chimiques secrètes, des brigands au coeur tendre, des chefs de mouvement politique complètement tordus, violents et inquiétants, une jeune fille pure qui se transforme en vamp...) et les particularités, la face cachée de tous ces personnages donnent du volume à un scénario déjà très riche en évènements.
On ne s'ennuie pas en ces pages, ça vire, virevolte, vole en tout sens, j'en raffole et vous le conseille!
-Madame-
de Eric Omond (scénario), Yoann (dessin) et Hubert (couleur)
éditions Dargaud, collection Poisson Pilote
2007
mardi 12 février 2008
La véritable histoire de Futuropolis 1972 - 1994
C'est l'histoire d'une époque, une ambiance, un passé révolu. La reprise à Paris d'une librairie spécialisée dans la bande dessinée, au 130 rue du théâtre.
Et quel théâtre! On y voit défiler une galerie de premiers rôles admirables et attachants (Robial, Cestac... ) à laquelle vient se joindre une pléiade de seconds rôles sympathiques et réjouissants (Schlingo, Tardi, Baudoin...) sans oublier la pléthore de figurants au caractère bien marqué et souvent bien trempé.
Les acteurs ont des masques (des gros nez). Florence Cestac raconte. Le spectacle peut commencer:
Une bande de copains embarque dans une folle aventure. Ils s'improvisent libraires, éditeurs... qui oserait miser sur de tels amateurs?! Leur petite entreprise manque sûrement de
" professionnalisme ", ils ne courent pas après le profit mais ils ont de l'énergie à revendre, du courage et une passion commune.
Ils " travaillent plus " et se débrouillent au mieux avec les moyens du bord. Quelle frénésie! Quel foisonnement d'idées et de talents! Il flotte au fil des pages un air de comedia dell'arte, d'excitation permanente. On est au cœur de l'humain. La vie rejoint le travail et le travail empiète sur la vie. C'est l'amitié, l'amour et la famille qui fusionnent autour du bel ouvrage, de l'attachement au livre, de la Bande Dessinée. Florence Cestac raconte. 22 ans qui défilent, 22 ans d'une vie, 22 ans d'une " maison ".
Il plane un air de fête qui peu à peu s'épuise. On éteint les lampions. Il reste de l'émotion, des souvenirs...
Futuropolis n'est plus (s'il existe un label, nous parlons d'autre chose). On ne refait pas le passé. On ne regrette rien. Florence Cestac raconte.
-Monsieur-
de Florence Cestac (son expo de camemberts est extra)
aux éditions Dargaud
2007
lundi 11 février 2008
Comédie d'amour
Jade est jolie, pétillante. Elle serait insouciante, libre et indépendante s'il n'y avait pas l'amour, l'amour qui se pointe à l'improviste, l'amour qui passe par les toits quand on lui ferme la porte, qui s'impose, qui se pose et contre lequel elle ne peut rien. Cela provoque un petit conflit " auteur - personnage - narrateur " joliment mis en scène. Mais rien de grave, le scénario est léger, léger, léger et malicieux. Paris a le charme pastel de la capitale immortelle, celle des amants éternels et des amours passagères. Les héros sont beaux, ils respirent le bien-être et l'aisance. Ils semblent tout droit sortis d'un magasine de mode, un journal féminin et glamour; c'est la petite touche qui fait du bien, un petit côté fleur bleue.
Certains regretteront " l'Espace d'un Soir ", première collaboration réussie des deux auteures, dont on retrouve une des héroïnes... est-il besoin de comparer? Les deux albums sont indépendants et ne se suivent pas. Leur univers est agréable, leur lecture est plaisante; c'est reposant.
-Monsieur-
de Colonel Moutarde aux dessins ( son site et celui de son agent)
et de Brigitte Luciani au scénario
aux éditions Delcourt
2007
vendredi 8 février 2008
mercredi 6 février 2008
Le Marteau d'Alfred
"Et si on allait à la mer?"
Six personnes s'affairent dans les couloirs: Béatrice, Caroline, Denis, François, Huguette, les vieux, et Martine, l'infirmier.
Ensemble, ils "empruntent" le mini-bus de l'hospice et emmènent Alfred, le petit copain d'Huguette, au bord de la mer pour un dernier voyage entre amis.
Alfred et son Alzheimer sont à l'origine de ce départ précipité : pour eux plus de temps à perdre, il faut retrouver la joie simple d'un paysage où se confondre. Où disparaître.
Mais le bus est en mauvais état, les fugueurs n'ont rien prévu à manger, les problèmes médicaux de chacun se font sentir... Martine, grand black toujours au service de ses patients, ne sait plus comment gérer la situation: la peur de se faire pincer et d'être le sujet d'un avis de recherche national avant d'être rentré à l'hospice fait monter la pression... Puis l'accident: dans le fossé tout le monde!
De cette fuite en avant, chacun a sa version des faits. L'ensemble fait un roman, dense, court, drôle souvent, émouvant parfois, rapide et entraînant.
C'est une histoire d'amitié à la vie à la mort, d'hommes et de femmes liés par le Marteau d'Alfred (Al's Hammer en anglais) que je vous conseille vivement!
-Madame-
de Luc Tartar (www.luc-tartar.net)
éditions de l'Amandier
2005
mardi 5 février 2008
Autour du livre (tentative d'analyse)
Des interrogations multiples sont soulevées par les libraires au sujet des changements en cours. De nombreux sites se penchent sur l'avenir de la librairie, donnent le pouls de la situation (melico, la feuille, le tiers livre, le blog de la SFL...) mais il faut rester prudent.
Qu'y-a-t-il de commun entre une librairie de campagne et une librairie de grande ville? Qui sait que les sex-shops sont considérés comme des librairies spécialisées? (Sex-shops : Une histoire française de Baptiste Coulmont aux éditions Dilecta)
Ce qu'on appelle librairie indépendante regroupe trop de commerces particuliers, de taille et de structure différentes. Incomparables dans leur fonctionnement, leur rapport aux clients et leurs capacités financières.
-
De plus, il faut se méfier d'un jeu économique
-où les règles ne sont pas les mêmes pour tout le monde (certains libraires n'atteignent pas un seuil de vente suffisant pour avoir la visite des représentants)
-où les intérêts en jeu divergent (selon que le libraire emploie ou non des salariés)
-où les rapports sont faussés (le marché d'approvisonnement des collectivités, bibliothèques par exemple, offre une certaine respiration à ceux qui le détiennent)
Force est de reconnaître que les gros groupes (FNAC, AMAZON, VIRGIN...) recentrent leur politique sur le commerce du livre pour compenser le déclin du disque et du DVD. Déjà bien armés, ils accentuent leur combativité, précisent leur agressivité.
Le combat contre les frais de livraison gratuits perdu par AMAZON (entre autres) ne l'empêche ni de pratiquer le « forcing » ni des opérations « ponctuelles ». Mais certains libraires sur leur site en ligne pratiquent également la gratuité ou des frais de port allégés. Que faut-il en penser? La poste devrait sûrement modérer ses tarifs comme d'autres pays européens (voir le combat de l'Atelier du Gué en ce sens) tout en préservant une certaine fiabilité.
Quant au système des remises exigées par AMAZON au près des éditeurs (avoisinant parfois les 50%), c'est une méthode de grande surface. Je ne crois pas qu'il soit juste de lier la gratuité des frais de port à ce fonctionnement crapuleux. Certains gros libraires font la même chose. De même qu'il est courant de jouer avec les délais de paiement (échéance de 3 mois, parfois plus selon les quantités de livres commandés), certains libraires négocient des vitrines ou des emplacements privilégiés en échange de conditions commerciales plus avantageuses.
Ce n'est pas dans l'esprit de la librairie mais dans celui du commerce.
Au delà de l'hypocrisie et du jeu de dupes liés aux enjeux économiques, il faut s'interroger sur les difficultés rencontrées par les librairies indépendantes. La vente en ligne est-elle responsable de tous les maux? (François Bon: déchaîner la chaîne)
Il faut prendre en compte les habitudes d'un public plus indépendant, moins homogène; admettre qu'il peut être intimidant d'avoir le regard du libraire sur son dos en permanence et se dire qu'un client peut éprouver une certaine délivrance vis à vis de l'anonymat des grosses structures. L'apparente abondance de l'offre y est souvent enthousiasmante et l'on se dit qu'on n'aura pas à commander ni à revenir deux fois pour obtenir son livre. Reconnaissons aussi avec regret qu'il arrive trop souvent d'être pris pour un imbécile par LE libraire qui « sait » et de sentir que l'on gêne quand on achète un livre à deux euros, que l'on vient pour un renseignement ou pour feuilleter quelques ouvrages. A contrario, on peut trouver des personnes de bon conseil et des libraires compétents dans des grandes surfaces dites culturelles.
Le prix du livre, en dehors de quelques collections spécifiques, est en hausse constante, parfois prohibitoire et sans réelle justification à part le coût du papier.
Les charges fixes liées à l'équipement, au loyer augmentent excessivement (notamment à Paris où se situe une majorité de librairies françaises). On pourra s'étonner de la cherté d'une base de données professionnelle (Electre) qui ne réfèrence plus les tirages de moins de 500 exemplaires.
Certains diffuseurs en position de quasi monopole imposent des conditions inadmissibles (envoi obligatoire de certaines nouveautés, obligation d'un stock minimum...) aux libraires. L'inverse est vrai aussi. Le gros étouffe le petit ou en prend le contrôle; c'est la loi du marché.
Il y a un système qui permet aux libraires de retourner sous certaines conditions les nouveautés (facturées à l'envoi) invendues. Celles-ci sont alors créditées. Le problème est que les éditeurs augmentent leurs parutions (une partie est distribuée d'office) pour augmenter leur trésorerie et que les libraires (dont la place et les ventes ne sont pas extensibles) augmentent leurs retours dans la même proportion. Les crédits augmentent et les éditeurs pour les couvrir augmentent les nouveautés (voilà une des raisons à la surproduction). Nous sommes face à un jeu d'écritures comptables, un système de cavalerie où le premier qui s'écroulera entraînera les autres dans sa chute.
Le nombre d'ouvrages finit par étouffer le libraire. Les boutiques sont encombrées de cartons. La manutention est de plus en plus lourde. La logistique devient un soucis majeur: coût, pollution (la ville de Paris veut développer les livraisons de nuit), délai (les grandes surfaces peuvent imposer des horaires aux transporteurs ce que ne peuvent pas faire les petits).
-
Le temps n'étant pas extensible, le libraire voit sa marge de manœuvre diminuer. Comment, dans ces conditions, renseigner sereinement le client, l'orienter correctement? Comment s'informer et synthétiser son savoir afin de le transmettre? Comment mettre en avant le fonds (choix et diversité) alors que 20% des livres apportent 80% des revenus? Comment rester disponible quand son temps est rongé par des soucis de place, de finance et de manutention?
Comment laisser au lecteur le temps de s'approprier un titre avant qu'il ne soit retourné?
Bien sûr, il y a des tentatives de réponses :
- Il faut souligner le travail exemplaire de certaines régions en faveur du Livre.
Des librairies spécialisées dans la bande dessinée ont associé leurs forces autour d'un projet commun en misant sur la qualité, le professionnalisme, le conseil (Canal BD). Cela ressemble à un label de qualité, un certificat de confiance à mon avis très efficace.
Le SNE travaille à une meilleure diffusion des petits éditeurs indépendants (système Calibre) pour réduire les frais et les délais de livraison car ils savent que les librairies indépendantes restent la clef de voûte de la diversité culturelle, de la transmission. Elles sont les relais d'une certaine liberté. La survie de nombreux éditeurs dépend d'elles.
Le SLF étudie un projet de portail en ligne afin de regrouper l'offre des librairies de proximité. Toutefois, le rapport Euclyd me laisse perplexe dans sa présentation (approximations, fautes d'orthographe). Je vous conseille la lecture critique d'Hubert Guillaud.
De nombreuses personnes manquent de réactivité et de compréhension vis à vis des nouveaux médias. L'appréciation d'Internet comme site vitrine permettant de gagner plus est largement répandue. On appréhende rarement son impact et le travail que son entretien demande. Pourtant un site mal conçu, aux mises à jour irrégulières, dessert l'entreprise qu'il est censé valoriser.
Malgré tout, je pense que les librairies de proximité ont un bel avenir devant elles.
Des pistes sont à suivre du côté des Sciences sociales et des bibliothèques confrontées, depuis quelque temps, à des bouleversements de même ampleur. Les mouvements autour d'Internet sont à considérer, eux-aussi, avec attention, pour leur potentialité.
Des libraires essayent d'innover, d'évoluer; ils s'adaptent.
Des passerelles apparaissent entre différentes formes artistiques et intellectuelles, le livre tend à redevenir précieux.
Les libraires-imprimeurs peuvent-ils renaître de leurs cendres?
Et pourquoi n'irait-on pas vers un développement de « nouveaux salons littéraires »?
Autant de questions en suspens...
Seuls ceux qui cultivent l'excellence, la différence, s'en sortiront. Ils sont peu et les temps sont durs. Bien sûr, ceux qui ont les reins assez solides pour passer cette période transitoire arriveront à rebondir quelque soit leur éthique professionnelle.
Mais pour les autres, le but sera de dégager un fonctionnement économique viable car il s'agira de vendre un savoir, une connaissance, de guider le public au travers d'une jungle d'informations.
La vraie valeur ajoutée de notre époque étant le rapport « matière grise – relations humaines », le libraire devrait retrouver son rôle de passeur, de défricheur: un métier exigeant.
-Monsieur-
Pour compléter ce chapitre, je vous encourage vivement à lire le texte de François Bon: Une histoire de la librairie, véritable déclaration d'amour et de passion.
Prenez le temps d'écouter un autre passionné, Jacques Noël, libraire au Regard Moderne à Paris sur Arte radio. Un grand monsieur.
dimanche 3 février 2008
Tante Marie/ Ginette Mathiot
Il est des livres d'une austérité à toute épreuve mais que l'on aime avoir chez soi. " La véritable cuisine traditionnelle de Tante Marie " et " La cuisine pour tous " de Ginette Mathiot sont de ceux-ci. Fidèles au modèle original (même rajeuni par l'éditeur), on délaissera les déclinaisons thématiques et les versions illustrées plus avenantes.
Ces bibles nous rassurent et nous guident, on est dans l'affectif, le familial. Ce sont des livres qui se transmettent par tradition, souvent de mère en fille, souvent par mimétisme.
Il n'est pas rare de les voir sur un coin de table, vieux compagnons de route, scotchés, rafistolés, tachés de beurre et de sirop. Ah, on peut dire qu'ils ont vécu!
Quand on parle de racines, de pays, il est des repères qui ne trompent pas:
- " Quoi?! Tu n'as pas ton Ginette Mathiot?! "
- " T'as la cuisine de Tante Marie? "
Il y a deux écoles.
L'attachement à des grimoires aussi dépouillés ne s'explique pas facilement:
-Peu de dessins, des ingrédients, des recettes, un lexique... c'est le dénuement de la simplicité.
-Des menus, du savoir-vivre, des attentions (comme " attendrir un pot-au-feu " ; quel programme!).
-Pas de photos alléchantes (ou dans de rares éditions), pas d'assiettes que l'on allège en proportion égale au porte-monnaie. Ici, on est dans "l'économique" au service du plaisir. Il n'y a pas de sophistication, tout y est simple et nourrissant.
Même les nouveaux médias avec tout leur apport ne peuvent rivaliser.
Ces livres sont de l'ordre du spirituel, de l'humain, des souvenirs qu'on prolonge et qu'on aime recréer.
Il suffit de les ouvrir, les mains pleines de farine, les feuilleter pour parcourir l'histoire, les arts et la géographie...
- " Et votre repas, il ne va pas se faire tout seul? "
- " Laissons-le reposer et profitons-en pour voyager. "
Les odeurs nous parviennent, les paupières se redressent et se plissent, les oreilles frémissent et les papilles s'activent. Que de réjouissances en perspective!
" Vol-au-vent ", " Suprême de perdreaux ", " truites gratinées à la crème ", " potage aux marrons ". Que de poésie, que d'envie! Je salive.
-Monsieur-
de Ginette Mathiot ( Je sais cuisiner)
aux éditions Albin Michel
première édition 1932
de Tante Marie (la véritable cuisine traditionnelle)
aux éditions Taride
première édition 1925 (j'ai une affection particulière pour le visuel présenté ci-dessus)
samedi 2 février 2008
vendredi 1 février 2008
"La chevauchée du Flamand"
Pierre-Paul Rubens était un peintre de génie, reconnu de son vivant. Ses oeuvres étaient recherchées à travers toute l'Europe par les plus grands de ce monde.
Mais Pierre-Paul Rubens n'était pas qu'artiste. Il était également fin diplomate, au service du duc de Mantoue, puis à celui de l'infante Isabelle, archiduchesse gouvernant les Pays-Bas. Celle-ci l'envoya régulièrement dans les plus hautes cours d'Europe, à titre officieux, prendre la température des différents gouvernements.
Des rencontres qu'il fit durant ses voyages, il rapporta bon nombre de commandes.
La plus importante fut celle de Marie de Médicis qui lui demanda de réaliser plusieurs grands panneaux retraçant les différentes étapes de sa vie. Ces panneaux devaient orner son Palais du Luxembourg, aujourd'hui siège du Sénat à Paris.
Jean Diwo nous retrace la vie de l'artiste peintre et des grands personnages de la politique européenne du 17ème siècle. Henri IV, Marie de Médicis, Philippe IV d'Espagne, Richelieu puis Louis XIII apparaissent tour à tour dans ce roman historique, largement renseigné par Pierre de l'Estoile et Charles de Picousa, chroniqueurs zélés de cet époque.
L'écriture de Diwo est toujours aussi entraînante, son texte est très intéressant. On peut néanmoins regretter une empathie un peu pressante: tous les personnages, quels qu'ils soient, ont des airs de bons samaritains. L'auteur leur excuse un peu facilement (à mon goût) leurs travers.
Cette lecture reste un très bon moment, on voyage avec le peintre, on voit du pays, de la lumière, et la fréquentation des cours européennes, plus particulièrement celle de la France, nous apprend de façon ludique bien des détails qui ont façonné la politique de l'époque.
-Madame-
de Jean Diwo
édtions Fayard
2005