jeudi 24 février 2011

Trafics de femmes

Effrayant.  
Trafics de femmes est une enquête qui décrit les arcanes de l'exploitation des femmes et des enfants à des fins sexuelles.
À partir de témoignages qui nous entraînent du Japon au Mexique en passant par la Birmanie et le Moyen-Orient, Lydia Cacho nous dévoile les mécanismes mafieux et les coulisses du commerce sexuel (traite et trafic) devenu avec celui des armes et de la drogue le plus rentable du Monde.

Tous les défauts des sociétés humaines sont surlignés dans ces drames : le sexisme, le racisme, la violence et l'appât du gain...
avec en filigrane, des questions qui se posent sur la place des femmes et des minorités, la Mondialisation et la corruption, la misère (éducative et pécuniaire)...

Un cahier intérieur présente quelques illustrations. Nous oublierons bien vite les légendes des photos tant elles semblent dérisoires et inutiles (malgré toute l'horreur et peut-être à cause de la charge émotionnelle du livre).
Nous nous attarderons par contre sur les cartes détaillant la traite des personnes à travers le Monde (tourisme sexuel, corruption.... ). Leur lecture est éloquente.

En s'appuyant sur un travail de terrain et une profonde connaissance législative et politique, Lydia Cacho cerne le problème de l'exploitation sexuelle sans en éluder la complexité.
Elle souligne l'importance de l'armée et des guerres dans le développement du phénomène, les liens entre les différents trafics : d'armes, de personnes (clandestins, main d'œuvre...), d'organes ; l'impossible combat sans éducation ni égalité entre les sexes, sans résolution de la misère ; l'équilibre difficile à trouver dans la lutte contre l'exploitation des êtres humains  tout en respectant les libertés et en évitant les récupérations (religieuses, extrémistes...).
S'opposer à ce monde de violence, de corruption, de déshumanisation, n'est pas sans danger. Lydia Cacho connait les collusions entre certains policiers, mafieux et politiciens. Elle en a payé le prix (au même titre que de nombreux témoins interrogés et défenseurs des libertés, pour certains décédés).

En sus d'une conclusion... pas vraiment optimiste, le livre comporte une terminologie des concepts employés que ce soit la "mafia", le "trafic", l'"esclavage" ou la "traite". Autant de précisions nécessaires pour bien comprendre le sujet et l'aborder sans risquer de mauvaises interprétations.
Lydia Cacho finit par une annexe où elle donne des pistes pour lutter, à notre échelle, contre l'exploitation des personnes, fragiles et fragilisées, notamment des enfants. Et même si certains conseils sont ceux d'une militante, l'implication découle de la prise de conscience.

Il ne nous reste plus qu'à combattre ou à baisser les bras.
En parler est déjà une façon de remonter les manches.

Trafics de femmes de Lydia Cacho
aux éditions du Nouveau Monde, janvier 2011 pour la traduction française.

- Monsieur -

samedi 19 février 2011

Petit Dragon

Christoph Niemann est un illustrateur qui manie les idées avec beaucoup d'humour et d'intelligence. Il connait et maîtrise suffisamment les codes graphiques pour s'amuser avec. Il en va ainsi de l'ensemble de son travail qu'il soit à destination des adultes ou des enfants.

Dans Petit Dragon, il  utilise les signes de l'écriture chinoise avec une décontraction communicative.
Son dessin est très simple, très doux. Les tonalités pastel de l'ensemble sont surlignées, en quelque endroit précis, par des traits noirs : ce sont des caractères chinois définis en bas de page.

Une personne aura deux courbes sur le corps : 人
Un visage barré d'une moustache représentera le père : 父

Autant de moyens ingénieux et ludiques d'approcher l'écriture sans nuire à la lecture. Par une sorte de méthode intuitive, Christoph Niemann ose des comparaisons d'images, des mariages visuels, personnels et heureux.

En suivant l'histoire de Lin, une petite fille qui part à la recherche de son dragon disparu, les enfants découvriront, sans même s'en rendre compte, quelques idéogrammes chinois.

Lin traversera la Chine, franchira les montagnes et les fleuves sans se décourager. Grâce à sa gentillesse et à son abnégation, elle finira par retrouver son ami et tout se terminera par un feu d'artifice pour le moins étonnant.


Petit Dragon de Christoph Niemann aux éditions Gallimard.

- Monsieur -

mercredi 16 février 2011

Town of tiny loops

Dans un format très proche des cartonnés pour enfants (ceux que pouvaient produire les éditions Hachette dans les années 50), Blanquet et Mami Chan nous présentent une histoire haute en couleurs et en musique : Town of tiny loops.

Pochette de disque pour collectionneurs ou vrai livre-CD pour enfants ? L'ambiguïté n'est pas gênante : autant habituer les bambins à la beauté singulière et ne pas sanctifier le livre.

D'ailleurs, l'objet est solide, les manipulations ne pourront que lui rajouter l'éclat de la patine.

Mais, silence !
Écoutez ! 
Quelle drôle d'agitation dans ce petit théâtre !

Les enfants monstres et les chimères, peluches et mécanismes organiques de Blanquet se déplacent comme des ombres chinoises aux regards expressifs dans un paysage rougeoyant.
Jungle luxuriante ou ciel embrasé ? Carnaval ou cataclysme ?
Les quatre éléments sont réunis (air, terre, eau, feu) pour une étrange sarabande où se meuvent des personnages guidés par une sorte de nécessité vitale, impérieuse.

Mami Chan entre en scène. Elle fait exploser les codes, le malaise qui pouvait nous saisir. Sa musique se mélange aux couleurs et l'on pose un regard différend sur les dessins de Blanquet. Curieux travail sensoriel où le son agit comme la lumière à travers un vitrail.

Mami Chan alterne les titres mélancoliques et poétiques, festifs et plus joyeux sans refréner le brin de folie qui la caractérise.
La jolie poupée nous gratifie d'un album gentiment allumé dans un mélange de filiation avec Erik Satie, Pascal Comelade et la pop japonaise.

Et l'enfant se construit en fermant le rideau de ce petit théâtre.
Des rêves plein la tête, il dort, il est beau.


The Town of tiny Loops (en écoute gratuite), dessins de Blanquet, musique de Mami Chan.
Paru en décembre 2010 dans la collection Ponpokette.

- Monsieur -

vendredi 11 février 2011

La boîte surprise de mes six ans.

À l'abordage ! Et pas de quartier !
Muni du filochard (cache-œil de pirate)
attrapé dans cette pochette surprise en carton,
dégommons à tout-va !
"La surprise idéale" ?! Tu parles !

Deux livrets à peine plus grands que ceux fournis dans les paquets de yaourt au moment des promos, un mini feutre et une surprise qui ne vaut pas celles des Kinder ! À 5,95 € (39 francs), vaut mieux se faire un Mac Do ! Et je suis pas fan des Mac Do.

Les boîtes surprises (deux livrets, deux jouets, un mini feutre) éditées chez Fleurus, de 3 à 6 ans, pour garçons et pour filles.

- Monsieur -

mercredi 9 février 2011

Marcher pour apprendre à aimer

Les chemins de Saint-Jacques-de-Compostelle,
c'est un aller-retour de 4000 km à pied.
Voici le journal d'un retour...
jusqu'à Challes-les-Eaux.

928 heures racontées au quotidien par Gérard Trèves dit La Tortue. 
Marcher pour apprendre à aimer, c'est son carnet de voyage : 112 jours de témoignage personnel avec quelques adresses, une bibliographie sur les chemins de Saint-Jacques, un cahier de photos en couleurs et un DVD offert.

Le livre s'ouvre sur une carte : le trajet est tracé. Puis, vient la page de garde avec l'annonce du titre et la présentation, s'ensuit une citation de Raoul Follereau.

Page 5, Gérard Trèves dédicace son livre à sa famille, ses enfants, petits-enfants, ses parents, sa belle-mère, son beau-père, son oncle, ses frères, ses amis anonymes ou nommés, ceux de l'Ile Maurice, d'Amérique ou du Togo, les pèlerins, les hospitaliers, les randonneurs, les autochtones...

Essoufflé, on entame la page 7 avec une préface de Nicolas Vanier, suivie page 9 d'un prologue d'André Dréan, lui-même prolongé d'un avant-propos de Gérard Trèves.

Page 21, on commence enfin le chemin du retour. Il nous conduit, de rencontres en recueillement jusqu'à la page 447.
Arrivent quelques digressions sur le courrier reçu durant l'absence de l'auteur, la présentation d'une soirée diaporama, quelques adresses, quelques pensées, quelques poèmes, quatre citations : Pythagore, Lao-Tseu, Emmanuel Kant et... Yves Duteil !
Il est grand temps de nous séparer.

Mais avant de refermer l'ouvrage, il reste à aborder une liste de remerciements qui va de Zazie à Patrice Dard, en passant par Nicolas Vanier et par l'épouse de Gérard Trèves, ses enfants, son frère, sa belle-sœur, sa sœur, ses amis, André Dréan, Glenda Pajean, Christine et Jean, Alexandra Ragache, Alain Durieu, Patrick Jager, Frederic Colomb,etc,etc.
(il y en a une page)

La messe est dite. Le livre est posé sur la table. On le regarde avec satisfaction jusqu'à ce qu'on enlève sa main et qu'on voie, de manière aussi inattendue que surprenante, une préface de la chanteuse Zazie.
Une préface en quatrième de couverture ?! Ça ne finira jamais !

Saint-Jacques-de-Compostelle Marcher pour apprendre à aimer de Gérard Trèves chez Trèves éditions.
Si vous croisez l'auteur, il vous offrira sûrement un caillou blanc, petit cœur de pierre ramassé en chemin.

Tous les droits sont reversés au fonds de dotation "espérance jeunesse" soutien à la Fondation d'Auteuil pour les enfants défavorisés et les jeunes en difficulté.


- Monsieur (railleur mais bienveillant) -

lundi 7 février 2011

La vraie vie de Didier Super

Didier Super : l'album !

Après avoir créé le buzz sur Internet, avoir été usé et présuré, Didier Super est lâché par son producteur et sa maison de disques.

La vraie vie de Didier Super résume tout ça en quelques pages aux couleurs flashy et criardes, fidèles reflets du personnage et de son univers.

Et l'on découvre, pour ceux qui en doutaient, un clown féroce et lucide, artiste de rue, qui jette un regard acide sur son rapport avec le public et sur le fonctionnement du milieu musical français (ça fait mal).

Et comme il dit : - Mieux vaut en rire que de s'en foutre.

La BD, vraie - fausse bio arrangée, est aussi drôle que les bonnes pages de Fluide ou du Psikopat. L'humour est souvent vachard et sans pitié, jamais innocent, rarement gratuit, dans la lignée d'Hara-Kiri ; de ceux qui se sabordent pour rester droits dans leurs bottes, intègres, même quand il faut manger.

Pour continuer à suivre Didier Super, il y a son site et ses spectacles.
Pour mieux le cerner, lisez l'album.

La vraie vie de Didier Super d'Emmanuel Reuzé et de Didier Super,
aux éditions Delcourt, septembre 2010.

vendredi 4 février 2011

Edwarda - n°4 - Madame

Michel Surya : " L'érotique penche du côté d'un autre genre. D'un genre qui est ancien et qui n'appartient pas à la littérature. Qui appartient, tout près, à la peinture :  La vanité. Pure cérébralité, donc. Tout le contraire de ce qu'on croit, donc. "

Edwarda est de retour.
Belle, hivernale, infiniment belle.
 

Une courbe, un regard, une envie de caresse.

Madame est arrivée
si belle et émouvante...

Edwarda nous la présente très bien,
avec des mots superbes et des photos de même.

Un vrai beau travail,
tant au niveau du contenu que de la présentation,
dont on avait aimé parler.


Madame,
vous êtes la femme sans âge et sans attache,
inaccessible, insaisissable et désirable.
Madame.

Une envie de pleurer,
un trop plein d'émotions - littéraires, amoureuses - me submerge.
D'homme, je redeviens fragile.

Madame est une image, une histoire racontée.
C'est les souvenirs d'enfance à l'orée de la vie.
C'est des rêves de lumière qui redressent vos épaules,
une illumination.

Edwarda nous la conte, vous raconte, intensément, si bien,
nous livre des photos.
Le frôlement des yeux...

La beauté des modèles - sublimes et sublimées -
merveilleuses, intouchables.

Madame, vous êtes la retenue dans l'abandon
la fierté du déshonneur
l'arbre dressé dans une forêt de cendre.

Madame
est une femme qui s'éloigne sur le boulevard ensoleillé.
Madame,
c'est le théâtre dans la ville
l'Amour qui fait tenir le coup.


Edwarda 4 Madame, janvier 2011, revue dirigée par Sam Guélini.
La citation de Michel Surya est extraite de l'entretien avec John Jefferson Selve, pages 122-125.

- Monsieur -

jeudi 3 février 2011

Le Cimeterre de Tamerlan (L'Espionne de Nelson)

Avant que nos éditeurs, à coups de subventions, ne mettent en place une offre numérique payante (et les sanctions qui vont de pair à l'encontre de ceux qu'ils nomment "pirates") pour les auteurs délaissés du XXème siècle, voici quelques extraits du Cimeterre de Tamerlan de Jean d'Agraives  :

Voyez-vous, Hardy, je donnerais volontiers le bras qui me reste pour savoir où se trouve la flotte de ce damné Bonaparte. Dussé-je fouiller les moindres criques de toute la Méditerranée... de tout l'Océan, s'il le faut, je découvrirai ces Français, fussent-ils partis aux antipodes..., s'ils sont encore, bien entendu, quelque part au-dessus de l'eau. 
Trente piastres d'or !
Et il ne fallait, pour s'attribuer une somme aussi magnifique, que risquer un peu de mourir, puisque aussi bien ce ferenghi assurait qu'en crachant le feu par la gueule de ses chiens de bronze il mettrait en fuite les Issas, excréments maudits de la mer !

Il pouvait, en quelques années, devenir le maître absolu de la péninsule divisée, ... rétablir un empire unique, mieux assis que l'empire mongol, puis étendre sa domination loin, très loin, par delà l'Indus et la barrière himalayenne.


La chute de leur grand mat, fauché par la décharge, au ras du chouque, acheva de les écœurer, tandis que revenant sur eux, ce "Tigre des Mers", qu'ils avaient pris pour un vulgaire mouton bêlant, leur cassait à jamais les reins, de deux boulets ramés, lâchés à bout portant, en pleine coque.
- Et d'un ! fit simplement Labranche, au milieu des acclamations enthousiastes de son équipage. À l'autre à présent ! Espérons qu'il ne sera pas plus difficile à réduire que celui-ci.
La minute d'après, des signaux multicolores montaient aux drisses du flagship, et par trilles aiguës de leurs sifflets stridents, les maîtres appelaient la bordée de quart à la manœuvre commandée.
- À carguer les basses voiles rondement ! ordonnait l'officier de quart. "Amenez le petit perroquet !"
 "Mais quand même", reprit-elle plus grave, "je crois que j'étais plutôt faite pour naviguer et chevaucher que pour me pavaner, selon la coutume de mes semblables, dans de précieuses toilettes et pour me parer de bijoux."
Cependant, tandis que les hommes de Janin dégustaient lentement, en connaisseurs, le vin râpeux promis comme juste récompense de leurs efforts, Massoudi prenait de rigoureuses mesures avec la lente gravité, apanage des Orientaux.
Ce fut un beau vieillard très droit, au port fier, au type eurasien et non arabo-sémitique, qui, moins de dix minutes plus tard, pénétra dans la vaste pièce. L'enseigne eut l'impression très nette qu'il avait déjà vu ailleurs ces yeux noirs et vifs, ce nez d'aigle, cette physionomie ouverte. Mais la longue barbe, d'un blanc neigeux, encadrant le visage racé, le déroutait et l'empêchait de mieux fixer ses souvenirs.
Aux dernières lueurs du couchant, l'escadron venait de faire halte dans une prairie d'herbe épaisse, tout émaillée de pavots roses, sur les bords de la Canvéry, dont les flots paisibles se teintaient de pourpre, mêlé d'or en fusion, auprès d'un boqueteau touffu où les nopals, les aréquiers se mêlaient aux jaunes mimosas.
Déjà Clément avait mis pied à terre avec agilité et, sensible au charme de cette nature verdoyante, alanguie sous le crépuscule, il demeurait là, absorbé dans une muette contemplation, tandis qu'un sowar empressé prenait son cheval par la bride pour le mener boire l'eau du fleuve.
(sowar : cavalier régulier.)
Et il frappa "l'arme de parade, merveilleuse, orientale sans doute, qu'il tenait entre ses genoux".

Paru chez Hachette sous le titre L'Espionne de Nelson en 1936, ce roman d'aventures est réédité aux éditions des Deux Sirènes en 1947.

Jean d'Agraives a été l'un des grands auteurs de la Bibliothèque Verte : un romancier populaire, représentant de la littérature "pour garçons" de l'entre-deux guerres. Pas toujours politiquement corrects pour les mentalités policées et procédurières de notre époque, certains passages sont à lire avec le recul adéquat.
Il est aussi intéressant de noter la richesse du vocabulaire employé.

Les illustrations sont de Maurice Toussaint. Peintre et dessinateur français (1882-1974) réputé pour sa maîtrise des sujets militaires, il illustra de nombreux romans.

- Monsieur -