jeudi 14 avril 2011

De la nécessité d'un printemps arabe dans les métiers du Livre.

Épargnés dans un premier temps par les effets de la crise financière, les métiers du Livre ne peuvent plus y échapper. Les gens achètent moins. Certaines causes paraissent évidentes, d'autres sont ciblées depuis longtemps. Mais, pourquoi cette accélération du phénomène,
pourquoi cette accentuation ?

Quelques raisons simples :

- Le manque de temps que chaque individu peut accorder à la lecture. La possibilité de solitude : pouvoir s'isoler dans une société au rythme de vie effréné devient un luxe.
- Le manque de place dans des pays de plus en plus urbains (pour ceux qui sont attachés à l'objet livre, qui le conservent). Dans le même ordre d'idée, l'accumulation de livres est un handicap à la mobilité.
- Le manque de concentration nécessaire à la lecture dans une société où les problèmes de stress et de burn out sont des phénomènes majeurs. L'épuisement des individus empêche de lire, de comprendre une idée, de suivre un raisonnement, une réflexion. Combien de fois avons-nous
entendu : "j'aime bien lire, mais ça m'endort." (on peut d'ailleurs s'interroger sur une volonté politique à cet état de fait)
- La perte de l'habitude. La lecture est une gymnastique qui demande, au départ, un effort : "ça m'prend la tête !"
- Le manque d'argent avec la baisse évidente du pouvoir d'achat d'une large partie de la population.

D'autres raisons (discutables) sont internes au fonctionnement des métiers du Livre :

- Parmi celles-ci, il y a le prix des livres :
le livre de poche autour de 8 euros, le roman ou l'essai en nouveauté autour de 22... même si, au regard du travail et du matériau, le prix peut se justifier, au regard du pouvoir d'achat de chaque individu, il devient vite prohibitif.
D'un autre côté, les titres qui connaissent des baisses de prix, des déstockages sont de plus en plus nombreux, au risque pour l'éditeur de voir l'acheteur potentiel attendre cette démarque pour passer à l'acte. Avec l'impression pour ceux qui voient un livre à moitié prix (alors qu'ils l'ont payé au prix fort) de s'être fait avoir.
Malgré la loi sur le prix du Livre (celui-ci est fixé, unique), la revente rapide (notamment des services de presse) à des prix "abordables" (deuxième main) fausse la valeur réelle de l'objet.

- Le système d'office (nouveautés reçues par le libraire et retournables dans un délai d'un an en échange d'un crédit) est à la source d'un véritable malaise (en créant une surproduction pour couvrir les crédits sur retour) :
Plus il y a d'invendus, plus il y a de retours donc de crédits. Pour couvrir ces crédits et encaisser des dividendes, le distributeur doit augmenter sa production et proposer plus de livres au libraire.
Ce système de cavalerie ne permet plus aux éditeurs ni aux libraires de travailler correctement sur le fonds.
 
- De nombreuses séries sont abandonnées, des collections restent inachevées si elles n'atteignent pas immédiatement un seuil de rentabilité, et ce, sans ménagement ni égard pour le lecteur.

- La partie la plus visible de l'offre est insipide, consensuelle, affadie. Toute provocation, tout excès est cadré, calibré, autocensuré. Une grande part de la production est une resucée de ce qui marche chez le voisin.
Non seulement, il y a une impression de formatage et de déjà vu mais de nombreux livres ne sont plus réimprimés ou restent indisponibles alors même que leurs auteurs sont vivants !
D'une façon générale, il se dégage pour le lecteur (et les non lecteurs) une impression de mépris et de morgue... un ennui profond  par rapport au livre.

Une des causes probables de cet état de fait est que les grandes et moyennes surfaces coupent l'herbe sous le pied des petites structures en vampirisant les meilleures ventes sans prendre le risque de mettre en avant un auteur ou un éditeur pointu ou jugé difficile.

Devant l'offre pléthorique qui lui est proposée, le lecteur potentiel se trouve esseulé. Il n'y a plus de prescripteurs.
- En librairie ? Le libraire est de plus en plus remplacé par des vendeurs-manutentionnaires.
- Dans les médias ? La critique se laisse aller à la facilité en reprenant les communiqués de presse via des "couper-coller" et rares sont les plumes que l'on relit bien des années après (Vialatte, Fallet... )
- Il y a trop de copinages, de renvois d'ascenseurs et d'échanges de "bons procédés" pour pouvoir faire confiance à "l'Institution".

Une fois les problèmes posés, quelles solutions, quelles réflexions apportées pour sortir de l'ornière ?

- Éviter une législation trop stricte car les règles édictées pour protéger les petites structures et préserver l'indépendance du Livre ont été utilisées au profit d’appétits commerciaux et détournées de façon avantageuse par les grands groupes (marge, échéance, retours-crédits... ).

- Comparer ce qui se fait dans d'autres secteurs, que ce soient les plus évidents en proximité (la presse, le cinéma, l'industrie du Disque...) ou d'autres plus inattendus (l'agriculture par exemple comporte dans ses structures et son fonctionnement de nombreuses similitudes avec le milieu du Livre : le rapport avec les grandes surfaces, l'encadrement des prix, quelques gros producteurs pour une pléthore de petits qui peinent à survivre... ).

- Observer ce qui se passe à l’Étranger.
En Afrique, avec le développement du marché des smartphones, le coût de fabrication d'un livre, les marchés parallèles, le rapport de l'écrit et de l'image vis à vis de l'oralité et de l'analphabétisme...
Aux USA, avec la baisse des ventes du livre de poche, la suppression des suppléments littéraires dans la presse...

- Analyser les nouvelles formes de lecture (comportement par rapport au texte) :
via les nouveaux supports,
le mélange des médias sur un même support,
l'échange et le partage sans flux financier,
l'internationalisation des médias,
la technique de piochage, de zapping, le besoin de rapidité...

- Donner le goût du Livre ; s'interroger sur les raisons pour lesquelles les enfants décrochent de la lecture au niveau du primaire, essayer de dépasser le fait selon lequel ils seraient trop "sollicités" par d'autres activités.

-Valoriser la pensée, le livre et le lecteur. Travailler l'image "Livre" au sein de la société en mettant en avant certains éditeurs, auteurs, grands lecteurs - des voyous magnifiques, des femmes d'envergure - en cassant le mythe de l'intello imbu de lui-même et recroquevillé sur son ego.

- Redonner sens au corps et à l'esprit. Développer le corps sans négliger l'âme. Refuser la superficialité et l'uniformisation. Accepter le débat.

Quelques conclusions hâtives...

Longtemps préservés de la folie libérale, les métiers du Livre sont passés aux mains des commerciaux tout en bénéficiant d'une législation semi protectrice et en conservant un vieil esprit que l'on pourrait qualifier (même si le terme est dévoyé) de paternaliste. Le Livre a besoin de temps, le commercial fait des coups, doit aller vite ; deux logiques s'opposent.

Il y a un parallèle possible (même si les raccourcis sont dangereux et excessifs) entre nos États vieillissants, sclérosés, corrompus et népotiques et les métiers du Livre.

Les métiers du Livre ne peuvent se régénérer qu'en se confrontant à d'autres milieux, d'autres sphères. Pour faire surgir des étincelles, il faut se frotter, sortir de cet univers clos d'où l'on n'a pas le recul nécessaire pour redonner vie ( visibilité à ceux qui s'y emploient actuellement) et envie aux citoyens du Livre. Au delà de l'ouverture à l'Autre, à l'étranger (au milieu éditorial), il faudrait le faire rentrer, l'accepter avec ses différences et ses complémentarités.


 Ce texte est un pêle-mêle d'idées qu'il serait juste de nuancer ou d'approfondir même s'il cerne, je pense, une partie des questions que se posent les amoureux du Livre.

- Monsieur -

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