Londres 2012 et autres dérives de Iain Sinclair est avant tout un bel objet.
Intrigant dans sa forme, il apparaît mystérieux.
Au dos de celui-ci, un cartouche fournit quelques informations, sommaires.
Seuls des noms de lieux dont l'auteur parlera sont mentionnés sur la carte qui enveloppe l'ouvrage. Dépliée, elle dévoile une couverture noire.
Titre, auteur : une ligne. Le nom de l'éditeur est placé en retrait.
Sobriété des couleurs, pureté de la typo. Chapeau !
Un patchwork de photos, illustrations du texte, complète le plan de Londres.
Londres 2012 et autres dérives est aussi un livre de combat, humain, politique. Il aurait pu être écrit à Paris, Bruxelles ou Pékin, dans toutes les capitales livrées aux promoteurs. Partout où l'on constate les mêmes dégâts, l'absurdité et la violence froide. Sinclair dénonce la politique de l'expulsion et de la table rase. Il témoigne de ce qui est, de ce qui n'est déjà plus. Il défend l'âme d'une ville, sa respiration, sa population contre l'oubli, l'effacement des traces, des souvenirs. Il est dans la lignée de Prévert, Doisneau, Brassaï ; le réalisme poétique.
Et son arme, c'est le style, car Sinclair nous bluffe.
Qu'est-ce que c'est beau les mots quand ils sont bien choisis ! Quand la géométrie d'un lieu, l'urbanisme influe sur la pensée, sur le comportement. Il n'y pas d'images. Une description, une simple description. Iain Sinclair part d'un lieu, décrit un arbre, un mur, une rue, digresse, de la littérature au cinéma, voyage... des pieds à la tête... et retour à l'endroit que l'on n'a pas quitté. Il laisse parler les mots. L'alliance de ceux-ci, l'assemblage des phrases, tout est dit. Quelle musique merveilleuse quand ils sont bien choisis, les mots ! Le style, le bonheur de goûter l'écriture comme on peut boire aux lèvres ! Comme cela fait du bien un phrasé appliqué dans la simplicité !
Et puis, il y a l'humour, féroce, mauvais, vachard. L'humour incisif de celui qui dénonce. L'humour, élégance du désespoir, de celui à qui l'on prend l'Amour, qui le voit malmener, défiguré, qui, d'un sourire détourne la larme de sa joue quand il faut témoigner de la souffrance humaine, du quotidien.
C'est la gouaille du mauvais garçon à qui l'on vole un passé, l'histoire de sa cour, de son terrain de jeu, ses voisins, ses copines, ses copains. C'est une sorte de gavroche érudit, un piéton bagarreur et moqueur.
Mais Sinclair est aussi assassin quand il s'agit de dénoncer les coupables ; sa prose se fait coups de poing, matraquage, démolissage en règle. Il avance seul contre une pieuvre, sans masque ni cagoule, invulnérable, implacable. Le geste est beau, terriblement bandant ! Et peu importe qu'on soit d'accord ou pas, que l'on partage sa vision des choses, son radicalisme amoureux, l'attachement viscéral à son quartier de Londres, pour peu que l'on soit sensible au lyrisme, Londres 2012 et autres dérives est une première approche (une compilation d'articles et de textes choisis) avant d'aborder l’œuvre de ce flâneur invétéré.
Londres 2012 et autres dérives de Iain Sinclair, traduction d'Héloïse Esquié et de Yann Perreau
Manuella Éditions, février 2011
- Monsieur -
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