jeudi 26 mai 2011

Je suis né ni fille ni garçon

Pour qui connaît les Éditions Eyrolles (spécialisées en informatique, techniques et management) ce genre de titre peut susciter l'étonnement. Il en va ainsi de nombreuses maisons "historiques" qui élargissent leur positionnement. Avec la collection Histoires de vie, on est dans le "trauma".

Je suis né ni fille ni garçon est un document - témoignage sur un phénomène connu depuis l'origine de l'humanité : "l'intersexuation" (on parle plus communément d'hermaphrodisme).
Dany Salomé, l'auteur de cette biographie, est né(e) avec un sexe masculin et un sexe féminin visibles mais atrophiés. Ses parents ont "dû" choisir le sexe (le genre) de leur enfant.

Dany nous raconte son parcours scolaire, l'armée, les années d'égarement, l'envie de paternité (et la vie de couple), son changement d'identité et sa conversion religieuse, les amants de passage, la trithérapie et ses effets secondaires, les rencontres sur Internet et l'âge qui apporte la sérénité... une vie chaotique mais finalement assez ordinaire.
Après avoir multiplié les traitements hormonaux, navigué d'un genre à l'autre, Dany assume enfin son "androgynie", "son unité" comme il la nomme.

Avant d'en arriver là, le lecteur a subi les poncifs de l'enfance, d'une vie de couple ennuyeuse et les schémas de genre bien définis (la fille qui s'occupe des fleurs et de la maison, le garçon qui aime la mécanique). Le tout n'a pas beaucoup d'intérêt.

Dany, en collaboration avec Cécile Potel, écrit sans pathos, avec beaucoup de pudeur, trop peut-être. Il manque des détails, de l'intime (puisque c'est le sujet). On ne connaît rien des autres, de leur contact, de leur rapport profond avec Dany, avec le corps de Dany (comment l'abordent-ils ? Comment est son corps, son sexe ? ). Bien sûr, il n'était pas question de rentrer dans le sordide mais l'écriture aurait pu, aurait dû, apporter des sentiments, de l'émotion. Un peu moins d'égocentrisme, un peu plus d'empathie n'aurait pas nui au propos. Dany n'est pas en cause, seul le style aurait pu sauver ce témoignage d'une navrante banalité. C'est raté.

Il faut toutefois souligner les deux préfaces écrites par Ariane Giacobino, médecin généticienne et Tom Reucher, psychologue clinicien. Elles tiennent en moins de vingt pages mais ne faisons pas la fine bouche. Il s'en dégage une intelligence, une humanité rare. Leur modestie par rapport à la recherche, leur expérience, leur réflexion sur la génétique, l'identité et la norme confortent l'idée qu'il aurait été plus intéressant d'avoir une étude émaillée d'exemples qu'un document brut sans analyse ni recul.

- Monsieur -

Je suis né ni fille ni garçon de Dany Salomé aux Éditions Eyrolles, 2011.

samedi 21 mai 2011

Connaissez-vous Paris ?

Connaissez-vous Paris ? de Raymond Queneau regroupe 456 questions - réponses sur la ville de Paris.

Il ne s'agira pas ici de savoir pourquoi cette plaque a été posée de cette façon :

À lire dans un miroir.

ni où se niche ce libraire magnifique :

photo en provenance du site de Stu Mead.

On n'y apprendra pas non plus le nom de la personne qui a sculpté le Génie Chercheur de la pharmacie située au numéro 20 de la rue des Écoles :

Nom du sculpteur

Queneau est mort trop tôt pour le dire... et le voir, et puis son propos est historique : c'est un analyseur de sédiments, un explorateur du temps qui passe. Il s'attache au patrimoine et remonte à la source.


 
 
Tout commença par la recherche... d'un revenu régulier : il faut bien vivre.
Raymond Queneau eut l'idée de poser trois questions par jour aux lecteurs du journal L'Intransigeant.
Très vite, il se prit au jeu et les lecteurs aussi (preuve, s'il en est encore besoin, d'un véritable amour entre Paris et ses habitants). Sa chronique dura  plus de deux ans, de 1936 à 1938. Deux ans durant lesquels il baguenauda dans les rues, voyagea de passages en bibliothèques, de stations de métro en terrains vagues. Notant les singularités, accumulant les livres (et l'on pense à Lorànt Deutsch pour l'écriture du Métronome), rectifiant les erreurs, Queneau nous lit Paris, il nous en livre les "grains" de beauté avec la passion du conteur.
Présenté par série de six questions - réponses, Connaissez-vous Paris est un condensé d'informations à petit prix.

Connaissez-vous Paris ? de Raymond Queneau, Folio Gallimard 2011.

- Monsieur -

Réponses aux questions :

- Cette plaque est un mystère, de là à imaginer que les kinés vous retournent... 
- Jacques Noël est le libraire d'Un Regard Moderne. On pourra l'approcher rue Gît le Cœur, au 10, en face du restaurant nommé Le Lutin dans le Jardin (ça ne s'invente pas).
- Mozart Guerra est l'auteur de cette curieuse sculpture.

mercredi 18 mai 2011

Paper Blossoms

Voici le cadeau idéal pour égayer vos repas solitaires ou ne plus voir grand-mère assise en face de vous : "a book of beautiful bouquets for the table".

Placez votre ouvrage au centre de la table ; avec ses cinq pop-up floraux, vous réaliserez rapidement des économies tout en changeant régulièrement  le thème de votre décoration. Vos ami(e)s seront époustouflé(e)s par le charme exubérant de vos compositions. Posées sur quelque délicieux napperon ou délicat dessous, celles-ci se maintiendront ouvertes grâce à deux élastiques placés sur les côtés du livre.
Très pratique, une fois replié, il suffira de l'incliner pour récupérer les miettes qui s'écouleront facilement le long de la tranche. Vous pourrez alors le ranger dans votre bibliothèque où il sera du plus bel effet eu égard à sa taille.


Paper Bossoms est un livre pop-up réalisé par Ray Marshall.
Concepteur de livres animés depuis plus de trente ans, sa technique est remarquable. Le choix du papier (épaisseur, rigidité) ainsi que les couleurs sont "visiblement" pensés. Le grand format ajoute un degré supplémentaire à l'intérêt de l'objet qui peut, malgré tout, paraître un tantinet kitchouille.
Paru en Juillet 2010 chez Chronicle Books,
distribution en France par Critiques Livres.

- Monsieur -

samedi 14 mai 2011

On va te faire ta fête maman !

C'est très plaisant d'accompagner la grossesse,
d'encourager la maman au moment de l'accouchement
et de suivre les premières tétées.
C'est très plaisant d'être un papa.

Pour la maman, c'est une autre paire de manche,
car, sauf exception, cette période fantastique n'est pas facile à vivre.
Il lui faudra encaisser la fatigue et les transformations physiques mais aussi, et surtout, les conseils et l'expertise des proches.
Et on repassera pour la délicatesse !

Nadège Beauvois et Florence Cestac nous en livrent une jolie sélection.
C'est du vécu, du lourd, de l'entendu, le quotidien de la femme enceinte !
Et de s'interroger si l’environnement ne pèserait pas plus lourd que l'enfant à naître...

À la façon des dessins d'humour, ou des brèves de comptoir,
chaque page illustre une réflexion qui n'amène pas de réponse.

Le ton est direct, mordant, vachard ; authentique mais pas vraiment méchant.

Le trait fait mouche et les parents s'y retrouvent.
C'est terrible mais rire de la réalité permet de relativiser.

On va te faire ta fête maman ! de Nadège Beauvois, avec Florence Cestac et ses dessins rigolos, vifs et colorés. Éditions Dargaud, 2011.

- Monsieur -

jeudi 5 mai 2011

L'oiseau canadèche

L'histoire a de quoi amuser :

Un vieil homme, incompris par les femmes qu'il ne comprend pas beaucoup mieux, est certain de rester immortel tant qu'il boira de son whisky maison, breuvage dont il tient la recette d'un indien mort dans ses bras.

Marié plusieurs fois mais jamais plus de quinze mois, Jack fut le père (absent) d'une petite fille qui, quelques années plus tard, devint, elle-même, maman. Cela fut ainsi durant treize années parce que la treizième, elle mourut noyée.
À la mort de sa mère, Titou, l'enfant, part vivre chez son grand-père, au grand dam de l'assistante sociale qui ne voit vraiment pas, même en fouillant très loin et en le voulant très fort, quelle éducation cet homme-là peut apporter à son petit-fils, hormis peut-être l'apprentissage du jeu et de la boisson.

Seulement voilà, bien que différents, les deux hommes se sont trouvés et s'aiment plus que tout au monde : fantaisie et bonheur de vivre les rapprochent.

Car Titou, lui aussi est un de drôle de numéro ! Une seule passion anime ses jours et ses nuits, depuis l'adolescence : construire des barrières. Planter des rangées absolument parfaites de pieux, partout autour du terrain du vieux. Celui-ci, totalement épris de liberté, a du mal à cerner le rejeton, mais le laisse faire.

Une rencontre du troisième type va donner un nouveau sens à leur vie : un petit canard, terrorisé par un terrible sanglier, ennemi juré de Titou (il arrache les barrières). Le jeune homme le récupère et va en faire l'un des piliers de la famille.

Baptisé Canadèche, ce canard a une sacrée personnalité, une intelligence remarquable et un appétit à faire pâlir tous les diététiciens du continent.
Volatile subtil, obèse et caractériel, il s'intègre rapidement à la maisonnée, partage les activités des deux hommes et de leur chien avec une remarquable facilité, et donne naissance à de fantastiques moments d'anthologie.

L'oiseau Canadèche est l'un des livres les plus drôles, les plus réjouissants que j'ai pu lire ces dernières années. Très court et complété par une longue postface du traducteur Nicolas Richard, il donne envie de lire rapidement Stone Junction, le seul autre roman traduit en français de Jim Dodge.


- Madame -

L'oiseau Canadèche
de Jim Dodge
Traduction de Jean-Pierre Carasso et postface de Nicolas Richard
éd. Cambourakis 2010

mardi 3 mai 2011

Rupestres !

Rupestres ! embarque quelques figures de proue de la bande dessinée contemporaine dans un curieux
voyage : six auteurs aux univers marqués et personnels, six auteurs reconnus pour leur empathie,
leur humanisme, leur quête stylistique
et leur indépendance d'esprit.
Ceux-ci partent en expédition, à la découverte de l'Art des cavernes. Ils racontent.

L'ouvrage a belle allure avec de jolies planches.
Il se lit bien : la structure narrative est fluide, ce qui est une gageure pour ce genre de "cadavre exquis" même s'il est vrai qu'on aurait souhaité un travail plus novateur, un peu plus audacieux, avec une œuvre collective totale, globale, un vrai mélange de traits et de textes plutôt que ces passages de relais entre dessinateurs ; plutôt que ce dialogue de styles (qui se marient toutefois très bien).

Cela dit, s'il n'y avait que ce regret à exprimer,  je l'aurais volontiers remisé au fond d'un trou. S'il n'y avait que ça ! Mais, il y a le discours...
atterrant ( ! ), l'impression de suivre une visite guidée où l'on subit les commentaires inutiles et lourdauds de touristes en goguette ; cette impression d'ennui et de gêne pour ceux qui les commettent.

Parfois, c'est vrai, il y a des échappées, du rêve, de l'émotion, on veut encore y croire mais tout s'écroule en quelques pages, on repasse à un autre, on recadre.
Quel gâchis ! Quelle déception de la part d'un tel collectif !

Et Dieu sait pourtant l'admiration que je porte à chacun d'eux !

Alors pourquoi ne donnent-ils qu'un carnet d'impressions ?
Pourquoi cette retenue ?
Pourquoi ne pas aller au fond des choses ?

Dans le même temps, ils s'attardent, ils regardent,
passent de l'incompréhension au doute ; jusqu'à l'admiration même !

Alors pourquoi ?
Pourquoi ne donner que des ébauches de réflexion ?
Pourquoi ne pas pousser l'analyse ?
Pourquoi ne penser qu'en terme d'illustrateur mâle ?
Pourquoi ne penser que par rapport à leur métier et à l'usage du dessin ?
Pourquoi n'élèvent-ils pas le discours ?!


Pascal Blondeaux, dans les Cahiers Dessinés (la merveilleuse revue des éditions Buchet-Chastel), avait livré une explication, une étude délicate et passionnée de l'Art rupestre, l'avait raconté avec tant de talent et de finesse, qu'à côté ces six-là font figure d'innocents.

- Monsieur -

Rupestres ! de Troubs, Pascal Rabaté, David Prudhomme, Marc-Antoine Mathieu, Emmanuel Guibert, Étienne Davodeau aux éditions Futuropolis, 2011.